3 Juin 2022
FRANCE •
Aimer tue. • Une pièce vue en avant-première Presse du Festival Off d'Avignon, le 2 juin 2022
Plongés dans le noir, l’accusé est entré, appelé à la barre afin de témoigner. Ainsi, dès son arrivée, le procès s’engage avec nous pour jurés. Nous, l’assistance, spectateurs groupés, confinés dans l’espace limité, fermé qu’est la salle de spectacle du Chapeau Rouge, dont nul ne sortira sans avoir rendu son verdict. L’homme installé, appelé par ses juges en voix off, sera-t-il en finalité, déclaré coupable, ou fou ? Innocent ? L’option n’est pas même proposée.
Il a tué, c’est un fait, il ne s’en défend pas ; la chose est reconnue. Qui, pourquoi, comment … : nous ne tarderons pas à le savoir, par les accusations prononcées, les explications théâtralisées de l’assassin surtout, encore présumé. L’histoire, nous l’apprendrons de la bouche même de cet homme dont l’allure et le style nous donnent déjà l’idée d’une certaine classe.
C’est de toute évidence, un passionné qui s’adresse à ses juges et aux jurés dont nous sommes ; l’intense tonalité de la voix, les gestes de désespoir exprimés, le démontrent d’une manière flagrante. Il reconnaît et détaille, sans chercher à s’en défendre, les méfaits commis jusqu’à l’extrême. Impression personnelle ou pas, je ne perçois dans sa reconstitution ni tendresse ni affectivité ; les données semblent factuelles, claires, nettes et précises, ne laissant de place apparente qu’à la passion, à l’obsession et à une certaine fatalité, presque une obligation.
Quoi qu’il en soit, ce drame au script très étudié d’un point de vue psychologique, écrit par Myriam Grélard, mis en scène avec François Cracosky interprète, nous interpelle quand bien même nos journaux quotidiens regorgent de faits similaires, ignorés par sensation de curiosité malsaine. Reconnaissons aussi que le jeu théâtral, d’une puissance et d’une force indéniables, y est pour beaucoup...
Cette pièce aurait aussi bien pu être titrée ‘Aimer à en mourir, jugement d’un crime passionnel’. Mais ‘aimer’, est-ce le mot juste ? Me direz-vous où déceler ne serait-ce qu’une once d’amour dans une telle histoire qualifiée généralement de fait divers ? ‘Admirer’ ne serait-il pas plus exact, ‘vouloir posséder’ également ? Quelle peut être alors cette sorte d’attachement, susceptible de mener un individu à l’acte de tuer, si ce n’est un coup de foudre unilatéral, mortel pour la jeune femme, lié à une obsession de posséder ? Peut-on par ailleurs qualifier l’individu de fou ou lui attribuer une sorte de dérèglement des sens susceptible d’être lié, comme c’est souvent le cas, à un état psychologique faible ou défaillant, généré par un passif familial, bien (trop ?) souvent jugé explicatif d’un tel comportement ? …
En fait, tout le problème est là. Et cette éternelle interrogation ne déroge pas à ce procès pour meurtre ou pour assassinat, selon qu’il y a eu ou pas préméditation. Les psychologues experts, essentiels dans ce genre d'affaires, n’ont pas été visiblement convoqués dans le contexte de la pièce ; ils y ont pourtant toute leur place. A nous alors de le jouer en plus d’être jurés, d’analyser le cas de cet individu malsain de toute manière, meurtrier ou assassin. La véritable question devient alors celle-ci : le coupable sera-t-il déclaré responsable ou irresponsable ? Responsable, c’est en prison qu’il ira, irresponsable à l’asile qu’il sera envoyé. De notre aptitude à juger de la capacité affective et sensorielle de l’accusé dépendra le verdict.
Soyez à votre tour acteurs de ce dossier ; allez au Chapeau Rouge sans hésiter durant la prochaine Édition du Festival Off d'Avignon. C’est un rôle passionnant qui vous y attend, ne vous privez pas de cette occasion de le jouer. C’est de surcroît fort bien écrit et terriblement bien interprété.
La musique vous accompagnera dans cet exercice situé en dehors de toute normalité sociale, ce problème de féminicides ô combien d’actualité (une manière de l’aborder autrement que par l’actualité) : Ray Charles, Nina Simone, Beethoven … jusqu’à Johnny Hallyday, fou d’amour avéré et tueur de surcroît, dans une chanson connue de tous.
Cath - L' Art de CATH
DIFFUSION 3 JUIN 2022