Public installé, lumières encore éclairées, aux premières notes de musique qui éclatent, au rideau qui s'ouvre, l'idée de la mise en scène s'offre à nous, l'esprit de la pièce se révèle, à notre grand étonnement (effet de surprise que je choisis de garder pour qu'à votre tour, vous ayez le plaisir de le vivre). Quelques secondes pour ne plus savoir ce que vous venez voir, oublier durant ce très court instant que c'est du Molière, une comédie pessimiste en vers. Une autre poignée de secondes, il n'en faut pas plus, suffisent à se dire que l'on va assister à une pièce hors pair, dans laquelle artistes, techniciens et metteur en scène sont des professionnels reconnus à juste titre. Un 'Waouh!' admiratif et instinctif nous échappe, s'élève parmi les spectateurs surpris. Il reviendra plusieurs fois durant l'heure trois-quarts que durera la pièce, entre grincements de dents, éclats de rire et émotions.
Le Misanthrope en l'occurrence, puisqu'il s'agit de celle-ci, est une pièce en cinq actes dont le sujet présenté est très différent de ce que son auteur avait pu écrire jusqu'alors, la critique ne portant pas sur une ou plusieurs catégories de personnes, mais sur un type de société dans sa globalité. Par ailleurs, la fin malheureuse qu'elle connaît pour les 2 personnages principaux en est également une particularité. Elle fut donnée en représentation pour la première fois le 4 juin 1666 sur la scène du Palais-Royal à Paris, par la Compagnie théâtrale La Troupe du Roy.
Par définition, un misanthrope est un être entier qui abhorre le 'mondain', déteste et fuit la compagnie des êtres humains qu'il juge hypocrites et faux de manière générale, nuisibles à une vie saine, franche et belle en société. Inutile de dire que le compromis et la diplomatie ne sont pas les outils de communication qu'il utilise, y compris dans l'état amoureux auquel il peut toutefois succomber. Ainsi Alceste renie t'il la société dans laquelle il se trouve, plus encore, il l'abhorre ; d'où son profond mal-être et son envie de la délaisser. Elle n'est pas celle en laquelle il croit, dont il porte les valeurs, envers et contre tous. A t-il tort ou raison ? Toujours est-il qu'en cela, il est admirable.
Effet miroir indéniable, Célimène à sa manière, n'est pas très différente d'Alceste dans le fond, en dehors du fait qu'elle accepte les avantages, les atouts, les plaisirs, ... que lui offre la vie en société, dont elle se joue voire qu'elle utilise. L'image qu'elle a de ses semblables n'est guère plus haute, ses propres valeurs étant très terre à terre, matérielles en tout cas, jouissives surtout. Joueuse, elle se laisse aller à user de ce dont elle possède, de 'ceux' aussi. Mais en rien cela ne ressemble à du caprice ; c'est un choix de vie fait selon ses propres convictions. Célimène est une jeune femme indépendante et volontaire, qui assume ses choix jusqu'au bout, quoi qu'il en soit et que cela lui coûte. Fidèle à elle-même, elle ne transige pas, fait partie des femmes fortes, et en cela, elle est tout autant admirable que celui qui l'aime.
De la mise en scène de Thomas Le Douarec, en parler ne serait-ce qu'un peu, c'est déjà trop en dire ; de la qualité du jeu des acteurs, de l'interprétation et de la réalisation, il est par contre plus aisé de s'exprimer sans trahir l'effet de surprise que je souhaite une nouvelle fois à tous de connaître.
Ainsi, les divers portraits se présentent-ils à nous dans tous leurs états, avec une évidence encore plus frappante que chez Molière. L'ensemble des personnages, quels qu'ils soient, quels que soient les comédiens qui les interprètent fabuleusement, sont frappants dans les formes plus ou moins caricaturales ou réalistes qu'ils représentent.
Aucun doute là-dessus c'est du bien vu, et Molière s'en donnerait à cœur joie s'il vivait aujourd'hui, se plairait à viser et peindre notre monde virtuel et artificiel, celui de la communication instantanée superficielle dans lequel s'éclatent blogueurs, instagramers, adeptes du selfie a tout instant et j'en passe, plus attentifs à leur image et intéressés par celle qu'ils renvoient aux autres, aux faux amis qui n'en sont pas, qu'à ceux qui s'intéressent à eux et les aiment vraiment.
Indéniablement, la pièce de Molière, âgée de 4 siècles, n'a pas pris une ride. Mieux encore, elle apparaît ici dans une archi-modernité étonnante.
En cette année des 400 ans de Molière, Thomas Le Douarec (Portrait de Dorian Gray L'Idiot,...) revient en force pour cette prochaine Édition du Festival Off d'Avignon avec cette nouvelle création et son 1er Molière, entre autres. Pour près de trois mois d'un travail acharné, après une sélection ô combien judicieuse des comédiens, nous ne pouvons que lui être reconnaissants d'avoir bien voulu donner une suite favorable à la suggestion de Jean-Charles Chagachbanian, (Alceste dans cette pièce, Franck Ruiz dans la série Plus belle la vie), d'adapter cette pièce admirable!
Un immense merci à tous deux et à l'ensemble des comédiens pour ces presque deux heures inoubliables.
Cath - L' Art de Cath
Le misanthrope de Molière
Adaptation et mise en scène
de Thomas Le Douarec pour 8 principaux personnages :
• Alceste, le Misanthrope, amoureux de Célimène.
• Philinte, ami d’Alceste.
• Oronte, amant de Célimène.
• Célimène,
• Éliante, cousine de Célimène.
• Arsinoé, amie jalouse de la beauté et de la jeunesse de Célimène.
• Acaste, marquis, prétendant de Célimène.
• Clitandre, marquis, prétendant de Célimène.
8 interprètes triés sur le volet pour leur esthétique, les qualités et compétences requises pour cette formidable adaptation :
Jean-Charles Chagachbanian, Philippe Maymat, Thomas Le Douarec, Jeanne Pajon, Justine Vultaggio, Valérian Behar-Bonnet, Rémi Johnsen, Caroline Devismes, Virginie Dewees
Autre spectacle mis en scène par Thomas le Douarec présenté dans le cadre du Festival Off d'Avignon Very Maths Trip avec Mathieu Oudard, au Palace, rue de la République.
Vu à Paris au Théâtre du Gymnase en février 2022 et déjà chroniqué .
Par ailleurs, avant de revenir sur Avignon pour le lancement du Festival Off le 7 juillet prochain, suite à la générale à laquelle je viens d'assister au Théâtre Les Lucioles (2 représentations les 18 et 19 juin), deux représentations exceptionnelles sont proposées dans le cadre approprié du Mois Molière et des Jardins des Grandes Écuries de Versailles, les 23 et 23 juin prochains à 20h30 (durée 1h45).
Compte tenu du contexte, la mise en scène en sera très différente, puisque sans la musique et jeux de lumières éléments fondamentaux à l'effet de surprise de la version que je connais. Mais le lieu magique lui apportera sans nul doute un éclairage à sa manière.
INFORMATION :Propriété intellectuelle. Les idées, le concept, la mise en page, les textes sont protégés, vous pouvez partager par l'interface du blog • Pour toutes demandes uniquement par mailselectionsorties@gmail.com