Dans son enfance en Angola, dans les années 1940, le solide et enraciné Bonga a reçu trois types d’éducations : la première, qu’il juge a posteriori mauvaise, dans une école coloniale dominée par l’église catholique ; la deuxième dans la rue, qui affûta sa débrouillardise ; la troisième, qu’il estime excellente, dans la cour de sa maison familiale, où il forgea sa conscience sociale et politique, son aptitude à la tendresse et à la révolte. Par ce nouveau disque, dont le titre Kintal da Banda signifie en créole angolais « la cours de l’endroit », c’est bien ici, dans cette cour première, et par extension dans toutes les cours du monde, ces lieux de réunion et de convivialité, qu’il nous invite.
Du havre originel de ses 23 premières années, le chantre de l’Angola ressuscite en deux poignées de phrase, les couleurs, les odeurs, les saveurs : un extérieur accablé d’un soleil de plomb, où se croisent grands-parents, oncles et tantes, cousins-cousines, voisins-voisines. Un endroit de convergence, où les conversations fusent drues. Un carrefour où l’existence se ponctue de repas partagés, et que rythme le semba, la musique « racine » de son pays. « Quand une maman emballe son enfant, quand une dame coud, elles chantent le semba, dit le maître. En cuisine ? Quelques pas de semba pendant que le plat mijote ! La dikanza*1, le batuque*2, le chant bercent notre quotidien… »
*1 La dikanza est un bambou strié frotté par une baguette
*2 Tambour
Sa maison comme un musée
Cet « esprit de la cour », Bonga l’a porté en lui, comme une flamme salutaire, au fil de ses exils. Jusqu’aujourd’hui, le bonhomme alerte de 80 ans, qui soigne son esprit par la joie et son corps par la gym, conserve cette ambiance dans sa maison de Lisbonne. Une demeure située près du mythique stade Benfica, où il débarqua, apprenti athlète, sous son véritable nom José Adelino Barceló de Carvalho, en 1965. Régulièrement, il se rend aux marchés africains, pour concocter de délicieux « funge » (ou « fufu »), une préparation goûteuse à base de poisson séché ou frais (ou de viande) tempéré d’huile de palme, de farine de manioc et d’une « belle sauce gombo ! » « Bien meilleur que toute la cuisine amerloque servie partout ! » assure-t-il.
Surtout, sa maison s’impose comme un musée de ses 50 ans de carrière. L’homme, d’un naturel ordonné dû, selon lui, à ses signes astrologiques (« Vierge » et « Cheval » selon le calendrier chinois), a tout conservé, tout exposé : ses quelques 40 albums, ses photos, ses disques d’or, de platine, son titre de chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres, les clés de la ville de Buenos Aires, des distinctions reçues des quatre coins du globe – Colombie, Mexique, Portugal, etc. Et Bonga, fier, de citer une interview de Will Smith où le mythique acteur américain avoue écouter chaque matin les chaloupes irrésistibles, portées par sa voix éraillée à fendre l’âme, de Mona Ki Ngi Xica. Ce succès intangible, cette longévité, ponctuée par près de 400 chansons – il ne compte plus ! –, le chanteur le doit, selon lui, à son intégrité, à son identité inaliénable et à sa façon de n’avoir jamais « coupé le cordon ombilical avec son pays ». « Le ‘business’ aurait voulu que je devienne une sorte de Julio Iglesias lusophone, que je forge des chansons taillées pour les discothèques, que je m’essaye, pourquoi pas, au reggae… Désolé !, tempête-t-il. Le semba reste mon seul drapeau musical ! »
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