7 Janvier 2023
FRANCE •
« Je t'épouse si tu maigris »
Eh bien voyons ! … Ces quelques mots à eux seuls m’interpelleraient si je ne savais rien de ce à quoi ils se rapportent … mais je sais, pour avoir vu la dernière création de Florence Kleinbort, qu’ils contiennent bien plus qu’une simple injonction à se mettre au régime.
Comment analyser alors théâtralement une telle formule ?
Florence Kleinbort, comédienne, auteure et metteuse en scène pour la Cie Les Didascalies, apporte bien sûr sa réponse, dans la pièce qui fut proposée au public le dimanche 18 décembre 2022 au Quai des Arts 37 bis, Quai Général de Gaulle à BEAUCAIRE dans le Gard. Je tente ici de donner la mienne.
Nous savons que selon les époques, le corps des femmes a été alternativement caché ou révélé, tour à tour objet de honte, de scandale, d’admiration ou de culte. Un diktat de l’apparence physique s’est instauré. En devenant progressivement à partir du milieu du 19ème siècle, l'objet de tous les soins, esthétiques et médicaux, l'individualité et l’individualisme ont pris le pas sur le spirituel, l'attention de chacun et de chacune, portée à son propre corps, à sa personne, s'est accrue, associée à un effet de mode exalté par les media.
Depuis plus d’un siècle déjà, ce diktat se base sur la sveltesse ; il s’est de plus associé peu à peu à la notion de santé, comme ce fut déjà le cas dans l'Antiquité. Le corps est devenu l'objet de toutes les attentions, l'essentiel étant de toujours paraître beau et désirable, jeunesse, santé, équilibre, performance à la clé.
"La divine corpulence" que Ronsard encensait à l’époque de la Renaissance n'est plus d'actualité depuis des décennies et même des siècles, l’idée que l’on se fait du corset, que nous n’avons heureusement pas connu, est là pour nous le rappeler.
Florence Kleinbort a déjà joué sur ‘le féminin’ dans des pièces qu’elle a écrites et/ou mises en scène, au Quai des Arts ou ailleurs.
Dans cette dernière, où l’idée d’une certaine féminité est encore plus largement abordée, cinq rôles font intervenir cinq personnalités aux physiques très différents ; cinq manières d'appréhender le monde et le regard des autres sont présentées dans un jeu peps, pétillant, vif et coloré.
Ainsi, Venus, Esther et Grâce sont 3 colocataires entre lesquelles existe a priori un lien d’amitié. Pourtant, tout semble les séparer : non seulement leur apparence mais aussi leurs idéaux, leurs modes de vie, leurs activités professionnelles ou autres, leurs croyances, leurs attentes ... Toutefois, la cohabitation a l’air de prime abord relativement agréable, les trois jeunes femmes paraissent convaincues et convaincantes. Cependant, au gré de leurs échanges, se laisseront progressivement entrevoir des fragilités, déceler des failles ... entrevoir en somme des personnes qui ne semblent pas vraiment correspondre à l'image qu'elles voudraient donner d’elles. Fabio, le voisin styliste, exubérant et gay, ne déroge pas à cette règle ... A contrario Ulysse, le frère d’Esther, dans son autisme, semble refléter exactement celui qu'il est … et il est bien le seul.
Cohabitation, amitié, sentiments avérés ou parfois cachés, refoulés résisteront-ils aux faux-semblants ?
Il est difficile de se fier au titre de cette pièce, qui va bien au-delà, je l’ai déjà dit, d’une injonction à maigrir (par chantage ou encouragement) qui ne s’attache qu'à l'un des couples mis en scène. Car le sujet de fond n'est pas précisément dans ces quelques mots provocateurs. Il se trouve dans l’ensemble du texte où le pouvoir des mots, des attitudes, des clichés, des diktats est mis à mal avec une fantaisie étonnante et divertissante malgré les malaises révélés ; dans cette féminité présentée sous plusieurs formes, l'image que chacun, chacune en donne ou veut en donner, volontairement ou inconsciemment, socialement ou fondamentalement.
Les comédiens de la Compagnie des Didascalies entrent comme un gant dans des rôles qui semblent faits pour eux, incarnent les personnages plus ou moins fantaisistes mis en scène avec l'humour, la dérision, parfois s’il le faut aussi le sérieux, requis. Le public ne s'y trompe pas, qui revient régulièrement Au Quai des Arts autant par sympathie pour la créatrice du spectacle que pour ces acteurs qui jouent juste et vrai, ainsi que pour les sujets et les thématiques abordés. Une bien belle découverte en somme, que ce lieu et cette équipe exercée et joviale.
Alors ne vous arrêtez pas à la durée d’une représentation qui comme pour cette dernière, peut aller jusqu'à près de 2 heures, aux titres subjectifs parfois, à cette ancienne salle de café au charme fou transformée simplement en lieu culturel … La sympathie, l'engouement, le verre de l'amitié, les échanges bon-enfant au final, … s’ajoutent à la qualité des comédies qui s’y jouent généralement et l'on s’y fidélise avec plaisir. Le Quai des arts et la Cie des Didascalies sont sans conteste à découvrir et à suivre, il serait dommage de vous en priver.
Cath - L' Art de CATH
"JE T'EPOUSE SI TU MAIGRIS"
Une pièce écrite et mise en scène par Florence KLEINBORT
Compagnie Les Didascalies
Comédiens :
Benoît GARROGOS, Florence KLEINBORT,
Laure RIVOLIER, Emmanuelle TARGHETTA et Claude WASSELIN.
Le Quai des Arts
Responsable du lieu : Daniel Kleinbort
37 bis quai Général De Gaulle, 30300 Beaucaire
Tel 06 72 77 02 45
Salle de spectacles principalement dédiée au théâtre.
Cours enfant / ados / adultes.
© PHOTOS - Droits réservés Compagnie Les Didascalies
DIFFUSION 7 JANVIER 2023