24 Juillet 2024
FRANCE •
THÉATRE ○ Dans cette salle du Théâtre de la Luna, assise face à la scène, je regarde devant moi Catherine Artigala. Elle m'a tractée devant le Théâtre Golovine la seconde fois que je passais par-là, allant voir précédemment Le Porteur d’Histoires d’Alexis Michalik au Chêne Noir. Elle avait l’assurance et la conviction des artistes investis par le personnage qu’ils incarnent, habités par leur rôle et résolument passionnés.
Il était dit déjà que j’allais me retrouver face à elle, moi assise en haut des gradins, elle en bas, sur scène.
La comédienne est en place avant que ne commence la pièce. J'aime bien cette situation : le fait d'arriver dans une salle qui n'est pas vide, où quelqu'un semble vous attendre et vous accueille discrètement, même avec recul et distance, en plein recueillement et concentration. J’aime ça, et me hasarderai même à dire que je n’ai jamais été déçue par une pièce qui débute ainsi. Alexis Michalik est adepte de ce mode opératoire ; dans ce cas, c’est William Mesguich … Deux grands du théâtre actuel, chacun à sa manière.
Je regarde aussi son public et m'interroge : combien est-elle allée en chercher, en a-t-elle péché des ‘comme moi’ ? Parce que c'est ça le Festival Off en grande partie : le tractage ! Aller chercher son public à la source, dans la rue, le ferrer, le pêcher avec ses mots, son pitch, armé de ses flyers, de sa passion et de sa conviction. C’est transmettre, faire son possible pour que le soir même ou le lendemain, le comédien vous retrouve en sortie de scène.
Catherine Artigala est particulièrement convaincante il faut le dire, et elle n'est pas n'importe qui. Pourtant elle tracte comme les autres et chaque jour, sauf celui de relâche, elle remplit la salle du Théâtre La Luna où elle joue du 29 juin au 21 juillet. Elle est aussi Marguerite Duras, son double, son ombre… Elle en connaît à n'en pas douter toute la vie ... la vie matérielle en tout cas.
‘La vie matérielle’ sous-titré ‘Marguerite Duras parle à Jérôme Beaujour’ : c'est ainsi que se nomme le recueil de textes de Marguerite Duras paru le 1er juin 1987 aux éditions P.O.L. rédigé en collaboration avec Jérôme Beaujour, duquel Michel Monnereau a extrait et adapté le texte de la pièce. Il est rédigé sous forme ‘libre’, d’une écriture ‘flottante’.
Catherine Artigala est seule en scène dans un décor d'intérieur sobre qui la voit évoluer d'un banc à un fauteuil, d'un guéridon à un bureau, souvent le verre à la main, au rythme des anecdotes de la vie de Marguerite Duras. Assise, debout, les histoires s'enchaînent, abordant différents sujets, révélant une personnalité passionnée et passionnante. On comprend bien pourquoi William Mesguich s'est laissé tenter par cette mise en scène pour cette comédienne, lui qui œuvre toujours avec tant de passion !
Mais revenons à notre comédienne qui se révèle sur scène, s'offre ainsi, si je peux le dire, sur un plateau.
S'agissant de biopics, le risque est toujours de pénétrer la vie d'une célébrité pour n’en extraire que des éléments déjà connus de tous. C’est plus ou moins bien fait, mais dans tous les cas, hormis l'interprétation, nous n’apprenons rien de plus. Sachant que l'on connait tout ou presque tout du personnage concerné, il s'agirait alors de pointer le doigt sur l'inconnu, la faille, ce qui est plus secret.
Autre solution : interroger. Et ici, c’est le cas. Qu'est-ce qu'une pièce qui dit tout, parfaitement, sinon un bel objet ? Une pièce qui interroge, ça c'est intéressant ! Quelqu'un m’a dit un jour qu'il était décevant pour un metteur en scène, d'entendre ce mot : intéressant. Pour moi, c'est tout le contraire. J'ai tenté alors de lui expliquer que contrairement à ce qu'il pense, une pièce intéressante, donc qui éveille l'intérêt, est déjà une pièce qui retient l'attention. Un premier point essentiel qui est le cas présentement.
Le second point important : qu'elle soit vectrice de passion, d’émotions : et là de la passion, il y en a ! Une somme de passions pour Marguerite Duras : de l'amour, du sexe, des excès, d'alcool pour ne citer qu'eux…
Il y a aussi la manière dont le récit se fait, la voix surtout, les intonations, la présence du personnage malgré son absence. Il y a aussi et surtout les interrogations, les questions que l'on est amené à se poser au fur et à mesure que se raconte l'histoire, enfin ce qu'il en reste, en découle, l'envie furieuse de mieux savoir à défaut de plus, et de comprendre.
La vie matérielle c'est tout cela : le rapport à la mère qui change, le besoin de boire puis d'arrêter, ce public qu'elle attire qui ne résulte pas de la seule interprétation de Catherine Artigala ou de la mise en scène de William Mesguich, et puis ce titre, rien que ce titre : la vie matérielle ! Pour une vie qui allait bien au-delà du matériel, et qui ne peut se réduire à la matérialité d’un livre que d’elle-même, Marguerite Duras ne reconnaissait pas en tant que tel.
En ce processus de création, là oui il y a du mystère, et cela nous aimons. C’est à cela que ce seule-en-scène nous mène ; alors allons-y, creusons !
https://books.openedition.org/
https://www.babelio.com/
Marguerite Duras
LA VIE MATÉRIELLE
Entre confidences et souvenirs, un passionnant
autoportrait à bâtons rompus.
De Marguerite Duras
Adaptation :
Michel Monnereau
Durée : 1h
Mise en scène :
William Mesguich pour la première fois
au Théâtre Lucernaire en 2023.
Avec Catherine Artigala